Lingus est un trio lyonnais prometteur. Depuis deux ans, Mathias, Antoine et Julien proposent une musique dynamique et complexe, affranchi de barrières stylistiques réductrices. Ils se sont produits sur de nombreuses scènes depuis la création du groupe, et vont faire paraître leur deuxième EP en mai sur le label stéphanois Le Cri du Charbon. Leur premier effort, The Story Of Mr. Sides (2016, autoproduction), est disponible sur Spotify, Deezer et iTunes. Entre maîtrise, maturité, fougue et réflexion (les hommes sont épris de philosophie), Lingus prouve que l’on peut faire du rock énergique et intelligent. C’est avec beaucoup de plaisir que nous nous sommes entretenus avec eux pour mieux les connaître et parler de leur actualité. Des musiciens à suivre.
Petite question d’introduction, pouvez-vous présenter le groupe ainsi que votre parcours ?
Bonjour Musid ! Notre trio a vu le jour en 2016. Il est composé de Julien Russo à la batterie, d’Antoine Valex à la basse, au clavier et au chant, et de Mathias Valex à la guitare et au chant. Deux frères donc, et un grand ami avec qui nous faisons de la musique depuis plusieurs années maintenant. On a des trajectoires musicales assez différentes, mais nous avons tous pris des cours particuliers à un moment donné, avant de commencer les expériences de groupe. On a écouté pas mal de metal, de rock, de math rock et de jazz. Nous ne sommes pas vraiment des racistes de la musique en fait, on évite de tomber dans la conflictualité stylistique.
Quelle est la signification du nom du groupe, Lingus ? Qui l’a choisi ?
De manière collégiale : on a pris le temps de choisir un nom que l’on ne questionnerait pas tous les mois, et qui faisait sens pour tous les trois. On ne voulait surtout pas d’un nom qui fasse « méchant ». Un cliché veut qu’il faille être « méchant » quand on fait du rock, on ne se place pas trop dans ce champ de réflexion. Pour la signification du nom, c’est assez simple, basique : on aime beaucoup un groupe qui s’appelle Snarky Puppy, qui a un morceau intitulé « Lingus ». Cela nous faisait rire d’utiliser ce nom-là dans le « milieu » rock. On nous demande quand même assez régulièrement s’il y a un lien avec les Snarky, ce qui est agréable et prouve que les clivages stylistiques commencent à se rompre. En effet, de plus en plus de gens écoutent des genres musicaux différents, ce qui est évidemment une bonne nouvelle. Au-delà de ça, on voulait rendre hommage à ce collectif qui a une philosophie anti-individualiste : pas de leader sur scène, un processus de composition partagé, etc. ; cela nous correspond parfaitement. On voulait en finir avec cette idée du groupe de rock qui met en avant son leader « touché par la grâce » (nous sommes d’ailleurs positionnés en triangle sur scène). Cela représente pour nous une conception assez dépassée de la musique, ou en tout cas qui ne nous convient pas. D’autant plus que reprendre des codes comportementaux maintes fois usités ne nous intéressaient pas du tout. Sinon, lingus semble signifier « langue » en latin, ce qui est un petit clin d’œil car nous utilisons dans nos paroles plusieurs langues qui ne sont pas les nôtres, l’anglais notamment et l’italien auparavant.
Comment définiriez-vous votre style musical ?
Quand il s’agit de communiquer sur notre groupe, on choisit d’utiliser le terme de « rock hybride ». On vient indubitablement du rock, avec un héritage de la musique anglo-saxonne assez appuyé. Nous sommes un power trio, rien de mieux pour tout casser qu’une guitare, une basse et une batterie ! (rires) Mais il est vrai qu’on évite de se cantonner à ce style-là. Cependant, tout cela n’est pas réfléchi : on ne se dit pas « ah, tiens pour faire les beaux on va rajouter telle couleur au morceau pour montrer que nous ne sommes pas des chèvres », c’est juste que ça nous fait triper de faire des petits clins d’œil, des petites références autres. Il y a pas mal de second degré là-dedans. Et c’est complètement en lien avec ce qu’on écoute et ce qu’on a pu écouter par le passé…
Quelles sont vos influences ?
Justement, elles sont multiples. Côté rock, on peut en citer quelques-unes : adolescents, nous avons été bercés par System of a Down et son metal hyper mélodique aux envolées orientales et aux structures de morceaux assez folles – que nous prenons plaisir à redécouvrir d’ailleurs en ce moment. Sinon, Rage against the Machine et son efficacité « haineuse », et à la volée : Mr. Bungle, Frank Zappa, Queens of the Stone Age, la grandiloquence de Muse, Esbjörn Svensson Trio, GoGo Penguin, KNOWER, Totorro, La Colonie de Vacances, And So I Watch You from Afar, avec leur post-rock aux accents irlandais… Certains de ces groupes nous ont fortement influencés pour la composition de notre second EP, qui paraîtra en mai prochain. On pourrait sortir une liste de cent cinquante noms de groupes rock, math et post-rock, jazz, electro, mais on va éviter pour la santé ophtalmique de tes lecteurs et lectrices !
Bientôt sortira votre second EP, Acceleration. Il succède à The Story Of Mr. Sides (2016), qui comportait également cinq titres. Tout d’abord, à quand un album ? Est-ce en projet ? Et comment s’est passé l’enregistrement de ces deux premiers efforts ?
L’album sera sans doute la prochaine étape ! La question s’est déjà posée quant à la forme de Acceleration. On pouvait avoir les morceaux pour un album, ce n’était pas une question de quantité, mais on a choisi de se mettre « en danger » et de composer/enregistrer/produire sur un laps de temps assez réduit. Cela s’inscrivait complètement dans le thème de l’EP (l’accélération du temps), donc on voulait être raccord avec cette cette idée jusqu’au bout. D’ailleurs, nous conseillons la lecture des ouvrages du philosophe allemand Hartmut Rosa. Ses travaux ont accompagné en continu le processus de composition et d’enregistrement de l’EP.
Les deux EP ont une trajectoire assez antagoniste. Le premier s’est construit doucement, à un moment où l’on se cherchait encore musicalement. Nous avions alors sans doute moins d’assurance et de confiance en nous que maintenant. À cette époque, on explorait pas mal de « contrées » musicales, même si notre côté « chiens fous » reste une partie intégrante de notre identité. De plus, nous avions tout fait seuls de A à Z. Le second a été réalisé dans des conditions plus « professionnelles ». Il a été enregistré dans un temps réduit en studio avec notre ingénieur du son et nous avions le support d’un label. Les contraintes financières et temporelles ont fait que nous sommes allés beaucoup plus à l’essentiel cette fois-ci. D’ailleurs, cela se ressent sur l’EP, il est nettement plus frontal, direct, affirmé.
Comment se passe le processus d’écriture au sein du groupe ? Combien de temps a nécessité la réalisation des EP ?
C’est un processus qui se fait à trois souvent, à partir de bribes de riffs ou de motifs mélodiques apportés par la guitare ou la basse, durant nos répétitions. On prend le temps de construire quelque chose d’abouti, on essaie de ne rien bâcler et de pousser au maximum le potentiel de chaque titre. La temporalité des deux EP est vraiment différente : presque une année pour le premier (en prenant le temps), entre deux et trois mois pour le second (en ne prenant pas le temps).
Vous optez pour un chant en anglais, néanmoins vous incluez par moments des samples en français (cf. « Café Crème », troisième morceau de Acceleration) et une partie de « Aladdin’s Creed » (The Story Of Mr. Sides) est un rap en italien. Pourquoi ce choix ?
Effectivement, et il y a même un sample en français sur « Guy2Sides » (NDLR : titre du premier EP) avec la voix de Guy Debord qui parle de la « société du spectacle »… Assez noir, pour le coup ! On a remis le couvert sur le second EP sur la piste que tu évoquais, « Café Crème », avec un extrait du film 12 Hommes en colère. Comme on chante en anglais, on apprécie ce côté « discours » clairement compréhensible par tout le monde sur quelques titres. En live, Gilles Deleuze donne également de la voix… C’est toujours assez virulent, on aime le côté provoc, le fait de critiquer notre propre mise en spectacle et l’absurdité de celle-ci lors de nos concerts. Sur un refrain du nouvel EP, on chante même une phrase en français… On n’exclue rien. Ainsi, on chante majoritairement en anglais, mais cela peut changer, évoluer. Après, on se retrouve quand même plus dans l’héritage musical anglo-saxon qu’hexagonal. Ce qu’on a écouté plus jeune y est sans doute pour quelque chose. Pour « Aladdin’s Creed » (qui évoque l’image d’Aladin), nous avons proposé un featuring à un ami qui a souhaité faire une partie rappée en italien, ce qui nous a tout de suite emballé. Le résultat est super, on est ravis d’avoir fait ça avec lui et on s’est vraiment marrés, la dose d’absurdité est assez prononcée.
Vous sortez Acceleration sur le label stéphanois Le Cri du Charbon. Comment avez-vous été en contact avec eux ? Quels changements avez-vous ressentis par rapport à votre premier EP qui était une autoproduction ?
Cela s’est fait grâce à un rendez-vous chez eux, directement. Au départ, Cyril, le patron du label, n’avait pas forcément l’idée d’inclure un autre groupe dans son catalogue, mais il s’est laissé convaincre par Brice Marin, le quatrième membre de Lingus, celui de l’ombre… Ensuite, tout s’est enchaîné assez rapidement : il a vu qu’on était déjà structurés avec un ingé son très fortement impliqué dans le projet (Brice) et qu’on se plaçait dans une dynamique de travail assez rigoureuse et sérieuse. Cela lui a plu. Maintenant on est une équipe encore plus complète, et on peut se délester d’une partie du travail administratif et de booking grâce à Cyril et Hannah du Cri du Charbon. Cela nous fait respirer et on peut se concentrer encore plus sur l’essentiel : nos morceaux et la présentation de ceux-ci en live, même si on continue de travailler sur les aspects booking et diffusion. Avec le label derrière nous, on sent aussi qu’on est plus « respectés » et pris au sérieux de manière générale, même si les termes peuvent paraître un peu forts… Mais disons que c’est un gage de légitimité supplémentaire pour nous.
Vous êtes un groupe de scène prolifique (déjà plus de vingt dates en France selon votre site). Quelle a été l’expérience live la plus mémorable pour vous jusqu’à maintenant ?
Chaque date est différente, et ce qui est bien c’est qu’il y a toujours de l’inattendu. Du coup, on a des concerts mémorables dans un sens négatif (mais drôle), et des concerts mémorables dans un sens positif. Les expériences négatives (nous ne citerons personne) ont eu lieu lorsque l’accueil n’a pas été au top et que tout s’est mal passé. Exemple : un concert l’an dernier (#balancetontremplin) où non seulement on a été super mal accueillis (tant sur le plan humain que sur le plan technique), mais il y a eu, en plus, énormément de retard sur la soirée, ce qui fait qu’on a joué super tard devant peu de monde. Pour l’anecdote marrante : en fin de concert, Mathias descend de scène avec sa guitare pour commencer un gros riff de Deftones, Antoine, le bassiste, voit que le jack de Mathias se prend dans son pédalier d’effets, du coup il s’empare du câble pour le démêler. Mais en le rejetant par terre, le câble se débranche et Mathias se retrouve tout seul comme un con dans l’herbe avec une guitare sans son au milieu d’un riff de rageux… Qu’est-ce qu’on s’est marrés !
Sinon, beaucoup plus de choses positives bien entendu, le live c’est vraiment le moment que l’on préfère car c’est là qu’on lâche tout et qu’on se fait le plus plaisir à trois. Si on doit en citer un, nous choisirions le concert donné en juillet dernier dans un festival à Bourg-Saint-Maurice. Il était organisé par une asso dont le président, François, un ami d’enfance, est décédé quelques mois auparavant… C’était donc un concert éminemment particulier pour nous et rempli d’émotion. En fin de concert, le grand frère d’Antoine et Mathias est monté sur scène avec sa guitare, et nous avons repris « Lithium » de Nirvana pour lui rendre hommage, car il nous avait fait découvrir ce groupe quand nous étions minots. Tout le public était à donf, un autre groupe de la soirée est venu chanter le morceau avec nous sur scène, tout le monde hurlait le refrain, bref c’était beau. Définitivement le plus chouette souvenir de concert.
Que peut-on vous souhaiter pour 2018 ? Avez-vous des concerts de prévus ? Quels sont vos projets et espoirs majeurs pour cette année ?
Vous pouvez nous souhaiter « tout le bonheur du monde » comme dirait Sinsémilia… (sourires) Nous sortons Acceleration au printemps et un certain nombre de dates commencent à tomber. On est d’autant plus excités que l’on a fait deux dates un peu « tests » sur le nouveau live fin février, et ça a super bien marché, donc on a hâte de multiplier les scènes pour roder le set ! On veut écumer les routes au maximum pour défendre l’EP ! Deux grosses dates sur Saint-Étienne à noter : le 21 juin place Jean Jaurès pour la Fête de la musique et le 30 juin au même endroit dans le cadre d’un gros événement (et on est super fiers) : le festival Paroles et Musique ! Sans parler d’attentes ou d’espoirs sur cet EP, on espère simplement qu’il nous permettra de jouer encore plus que l’an dernier, et que le projet Lingus se fasse connaître et grandisse petit à petit !
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