Evénement au Sonic. La péniche est pleine à craquer. C’est, dit-on, LE concert de l’année à Lyon. La tension devient palpable… soudain, un grand type fend la foule et nous passe devant, l’air de rien. « Qui c’est ce grand con qui nous double ? On va rien voir du concert… On lui pète la gueule !!! » Et le lendemain, dans les gros titres des journaux : « émeute au Sonic, de nombreux morts à déplorer… »
Non, en vrai le grand type en question fend effectivement la foule, puis monte sur scène et se saisit d’une guitare : « Hello, my name is Thurston ! » Thurston Moore, l’authentique, celui de Sonic Youth ! En direct de la péniche la plus glauque et underground de la ville, il nous honore de sa présence aux côtés d’Andy Moor, guitariste du groupe The Ex, et d’Anne-James Chaton, poète sonore, pour une performance quasi unique dans le cadre du Guitar Poetry Tour (sept dates seulement, dont six en France et une à Londres). Forts de leurs expériences variées, les trois larrons n’en sont pas non plus à leur premier bœuf, chacun s’étant déjà plus ou moins acoquiné avec l’un ou l’autre lors de diverses collaborations : Thurston Moore + The Ex, The Ex + Sonic Youth, Anne-James Chaton + The Ex, Andy Moor + Anne-James Chaton… Enfin, vous voyez le tableau.
Ce soir, c’est Thurston Moore qui nous annonce la couleur : il jouera d’abord un peu en solo, histoire de se mettre en jambe, puis attaquera un duo avec Andy Moor, puis après une pause bière/clope, Anne-James Chaton investira la scène d’abord en solo, puis en duo avec Andy Moor, puis en trio avec les deux Moor(e). Sacré programme !
Après ce petit topo, le gigantesque guitariste se lance donc avec le morceau « Groovy and Linda », composé avec son groupe post-Sonic Youth – Chelsea Light Moving – suivi d’un second dont je ne me souviens plus le titre (encore une chanson de hippie qui finit mal !) Le résultat n’est pas des plus convaincants, ça manque quand même de patate… Le voir remuer des cheveux tout seul avec sa guitare est un peu frustrant, une batterie et une basse ne seraient pas de trop… enfin, ce n’est pas le concept du show et ce n’est qu’un échauffement, alors passons.
La situation devient de suite plus excitante lorsque son homonyme sans E le rejoint sur scène. Un duo, que dis-je, un duel confronte alors les deux guitaristes. Dans le coin gauche, petit, trapu et grisonnant, maître du post punk expérimental, j’ai nommé : Andy Moor ! Et dans le coin droit, beau bébé de presque deux mètres, bouille d’éternel gamin, pionnier du noise rock et du grunge… oui, bon, je ne vais pas vous la refaire, on est déjà au courant. C’est parti, les deux musiciens bataillent dur, rivalisant d’imagination dans leurs impros. L’un frappe caisse et manche à coups de poings. L’autre griffe sa gratte d’une brosse métallique. Et ça râpe les cordes à la lime. Et ça bricole des slides au tournevis. Epaulé d’effets sonores en tout genre, chacun y va de sa technique, torturant son instrument pour lui tirer les gémissements les plus insensés. Les réactions du public sont diverses. Certains s’évertuent à danser… ok, c’est bien de se montrer enthousiaste, mais il y a des limites ! D’autres conspuent les gens qui applaudissent, car n’est-ce pas, nous n’assistons pas à un concert mais contemplons une œuvre d’art contemporain, prout prout… Mais la plupart des attitudes sont tout à fait acceptables : bouches bées, mines interrogatives, respect et intérêt pour la performance… Au final, on ne sait pas trop quoi en penser, si ce n’est qu’il s’agit d’une démonstration bruitiste qui ne laisse pas indifférent, même si chaque expérimentation n’est souvent que trop peu exploitée (ou des fois trop, tout est relatif).
Après une petite pause, le poète performeur Anne-James Chaton entre en piste et annonce qu’il va nous lire un poème intitulé « Evénement 99 ». Assez Thiéfainien comme titre, de quoi attirer l’attention. Il balance alors un sample et déclame son texte avec un timbre à la Bashung de manière monocorde, mécanique et répétitive. Plutôt original et intéressant, mais lorsque l’on s’aperçoit que ledit poème est constitué de plusieurs parties toutes construites selon le même modèle, ça devient quelque peu lassant. Mais où sont passés ses compères guitaristes ? Il serait temps qu’ils interviennent pour mettre un peu d’action ! Les voici justement qui montent sur scène l’un après l’autre pour compléter ce charmant tableau noisy. Le résultat s’avère un peu plus satisfaisant, mais personnellement, j’aurais préféré en rester au duo Andy Moor / Thurston Moore. Le poète semble avoir trouvé le bon filon, absolument tous ses textes sont structurés et récités de la même manière, qu’ils évoquent des événements importants de l’année 2009, des noms de sorties de métro ou des coordonnées géographiques. Ca me démange de l’entendre pousser une gueulante, j’y crois presque lorsque je le vois sortir un mégaphone… mais non. Il se trompe de bouton pour le mettre en marche, déclenchant à son insu une sirène à la « Macadam Massacre », puis corrige rapidement sa méprise pour reprendre ses déclamations sur le même ton… Les textes sont la plupart du temps difficilement intelligibles, couverts par les furieux guitaristes qui n’en ont pas fini de livrer leurs instruments au supplice. Finalement, l’intervention la plus intéressante d’Anne-James Chaton sera son improvisation sur les titres d’articles du journal daté du jour même. Enfin, je reste persuadée que sa présence n’apportait pas grand chose à la rencontre des deux grandes figures guitaristiques dont nous avons été témoins.
Verdict : comme pour les concerts de John Cale ou des Melvins, on pourra dire qu’on y était… mais à l’inverse, on pourra dire que cela valait vraiment la peine.