Petit retour à L’Epicerie Moderne après le sombre épisode des Melvins… une fois de plus, l’affiche laisse rêveur : Dirty Three et Shellac le même soir sur la même scène, rien que ça !
En première partie, on s’attend au meilleur comme au pire avec, seule sur scène, la violoncelliste Helen Money, qui nous livre finalement un set bruitiste peu convaincant… Comme l’a si justement fait remarquer l’un de mes amis, le résultat ressemble étrangement à gamin qui apprend à jouer de la guitare : ce n’est pas très agréable, parfois douloureux pour les oreilles. Bref, un tour au bar s’impose !
Entrent ensuite sur scène les trois lascars australiens : au violon et au piano Warren Ellis, fidèle acolyte de Nick Cave au sein des Bad Seeds, de Grinderman ou sur diverses bandes originales de films, le batteur Jim White (Cat Power, PJ Harvey) et le guitariste Mike Turner. A l’arrache, le groupe commence par faire ses balances en quelques minutes chrono avant d’attaquer le concert. Le départ est quelque peu laborieux, et je me demande alors si la bouteille de Perrier que Warren Ellis trimballe sur scène ne contient que de l’eau pétillante… Les musiciens se décalent, le kick de la batterie couvre toute la mélodie du piano, le guitariste semble complètement à côté de la plaque… Mais au bout de deux ou trois instrumentaux douteux, le spectacle prend une toute autre tournure. Le groupe se lance alors dans des morceaux mélancoliques à souhait et d’une rare intensité. L’indomptable violoniste semble jouer comme si sa vie en dépendait, hurlant, titubant et sautant de part et d’autre de la scène. Quasiment en transe, il joue dos au public comme pour mieux faire face aux improvisations techniques et jazzy de son excellent batteur. Les compositions sont plutôt longues et suivent toutes plus ou moins la même recette, à savoir un début en douceur qui monte crescendo jusqu’à l’explosion finale, mais le résultat s’avère efficace et prend aux tripes. J’en ai même la gorge nouée à certains instants. Les morceaux sont entrecoupés par les speechs de Warren Ellis, qui dans un français impeccable, part dans des délires très personnels, tripant sur un moustachu dans le public ou annonçant des chansons aux titres improbables : « Ce morceau s’intitule : Je suis un bouton sur la fesse de Jean-Marie Le Pen ! » En bref, un spectacle hors du temps, étrange et prenant, mené par un leader aux allures de clochard céleste qu’on n’aurait pas laissé monter sur scène le soir de son propre concert si on ignorait son identité (comme l’a de nouveau si justement fait remarquer mon pote !)
Le trio américain Shellac fait ensuite son entrée sur scène. Les musiciens prennent le temps de s’installer, de papoter entre eux, et font soudain sursauter les deux tiers de la salle en attaquant de but en blanc, sans prévenir, sur un morceau bien agressif ! Le son est excellent, mais ça joue très fort, et les boules Quies sont enfoncées dans les oreilles en vitesse pour éviter les dégâts auditifs. Steve Albini, sa guitare sanglée autour de la taille (« So what ? This is the normal way to wear a guitare ! »), nous assaille de riffs minimalistes et teigneux, accompagnés par les martellements du bassiste Bob Weston et le jeu primitif et rentre-dedans du batteur Todd Trainer (mais par ailleurs très technique et parsemé ça et là de cassures rythmiques très math rock). Trônant au milieu de ses deux compères, le batteur est clairement le membre le plus charismatique du groupe : il brutalise ses fûts avec des mimiques dignes des meilleurs films d’horreur à bas budget et escalade les amplis pour battre sans ménagement sa caisse claire. Shellac a effectivement le sens de la mise en scène, Albini et Weston prennent part activement aux délires de Trainer en s’appropriant par moments les cymbales ou en jouant et chantant au ralenti. Entre les morceaux, les musiciens semblent se mettre d’accord sur le set visiblement improvisé et Bob Weston tente de faire patienter la foule : « Well, if you have some questions, raise your hand ! », petit jeu amusant créant immédiatement une complicité entre le groupe et ses spectateurs et donnant lieu à des questions/réponses plutôt étonnantes. Le concert se révèle très bon dans l’ensemble, seuls quelques morceaux traînent un peu en longueur. Tout comme Dirty Three, le groupe termine sans rappel, mais propose aux intéressés de les retrouver après le rangement du matos pour discuter ou acheter des tee-shirts (« Shellac » imprimé en noir sur un tee-shirt noir, la grande classe !)
Tout à fait ravie, donc, d’avoir pu être témoin de cette soirée inratable réunissant sur une même scène des artistes de renom. Il fallait absolument y être, car ce n’est pas demain la veille que ça se reproduira !