ROMEO ET JULIETTE de William Shakespeare

Mis en scène par Olivier Py au TNP (Villeurbanne) du 06.01.12 au 13.01.12

 

L’histoire :

Vérone, Italie, est le théâtre de combats incessants entre deux familles rivales : les Montaigu et les Capulet. Le seigneur de la ville tente systématiquement de mettre fin aux querelles, mais en vain. C’est donc contre toute attente que naît une idylle entre deux enfants des maisons opposées : Roméo Montaigu et Juliette Capulet. Bien décidés à vivre leur amour malgré les conflits, les jeunes amants ne se doutent pas qu’ils scellent ainsi leur destin tragique…

 

Analyse du spectacle :

« Je tiens ce monde pour ce qu’il est : un théâtre où chacun doit jouer son rôle. » (William Shakespeare, Le Marchand de Venise, 1596-1597). Que l’on lise Le Roi Lear, Le Songe d’une nuit d’été ou Comme il vous plaira, le monde perçu comme un théâtre est un thème récurrent dans les œuvres de William Shakespeare, que nous retrouvons tant au sein de ses textes, que dans la scénographie même du théâtre élisabéthain. En effet, ces édifices de forme circulaire construits à ciel ouvert ne sont pas conçus dans le but de rendre vraisemblables les pièces qui y sont interprétées : le décor en dur reste le même d’une pièce à l’autre, les costumes ne sont pas nécessairement respectueux des périodes historiques représentées sur scène, et la configuration du théâtre est telle que la proximité entre les comédiens et le public est très importante. En étudiant la scénographie et le traitement de la lumière de la pièce Roméo et Juliette jouée au TNP du 6 au 13 janvier 2012, nous verrons comment le metteur en scène Olivier Py se réapproprie le théâtre de Shakespeare ainsi que la thématique du théâtre comme miroir du monde.

Comme dans la plupart des mises en scène d’Olivier Py, le décor est essentiellement constitué de praticables. Ceux-ci sont disposés à vue par les machinistes et les comédiens tout au long de la pièce, composant ainsi les différents tableaux de Roméo et Juliette : la salle de bal de la famille Capulet, le fameux balcon de Juliette, l’église de frère Laurent… Ces praticables sont totalement absents du plateau au début de la pièce, lors du prologue, puis sont ensuite mis en place dès le début de l’action. De dimensions importantes, ils figurent la plupart du temps des murs (ceux du palais, de la chambre de Juliette, de l’église…) Certains sont même équipés d’escaliers afin que les comédiens puissent se rendre à leur sommet. Ils sont peints de couleur sombre (gris/noir), ce qui permet par moments aux acteurs d’y inscrire des choses à la craie blanche (des étoiles et la phrase « La nuit sera blanche et noire » par Roméo, la silhouette de Juliette par le frère Laurent), qui sont ensuite effacées à l’éponge, de nouveau à vue. Ces praticables ne représentent pas un décor réaliste, mais symbolisent les différents lieux dans lesquels se déroule la pièce (le texte détaillé nous permet d’ailleurs très facilement de comprendre où se situe chaque scène). Le fait qu’ils soient manipulés à vue par les machinistes et les comédiens, permet de rappeler constamment au spectateur qu’il est au théâtre et que l’histoire qui évolue sous ses yeux est une fiction.

Principaux éléments de cette scénographie, les praticables ne constituent cependant pas à eux seuls le décor de Roméo et Juliette. En effet, dès le début de la pièce, des faux palmiers sont déjà en place sur le plateau, côté cour. Un piano fait également de nombreuses apparitions sur scène, et même si sa présence est plus particulièrement justifiée par la bande son jouée en direct par un pianiste, je pense que l’on peut tout de même le considérer comme un élément de décor à part entière, lors de la scène de bal notamment. De la même manière que les praticables, les palmiers et le piano sont manipulés à plusieurs reprises par les comédiens, toujours à vue. Autre élément très important : la petite table surmontée d’un miroir encadré de lampes. Celle-ci est installée à la face côté jardin après le prologue et ne quitte plus le plateau de toute la pièce. Les comédiens évoluent fréquemment autour de cette table, tantôt pour s’y asseoir et s’observer dans le miroir, tantôt pour monter dessus, tantôt pour s’allonger dessous. Il s’agit visiblement d’un élément essentiel dans les mises en scène d’Olivier Py, qui évoque d’emblée aux spectateurs une loge, leur rappelant ainsi qu’ils sont bel et bien au théâtre et que les personnes sur scène sont des acteurs jouant la comédie. Le miroir permet de renforcer cette idée, car le public s’y reflète et ne perd donc pas de vue sa position de spectateur. Il suggère également aux spectateurs qu’ils sont eux-mêmes des comédiens dans une loge qui s’apprêtent aussi à jouer un rôle, comme si la vie n’était finalement qu’une pièce de théâtre, et le théâtre, un reflet de la vie réelle. Simples mais évocateurs, les éléments de décor choisis par Olivier Py permettent donc de figurer facilement les différents lieux de l’action, tout en rappelant sans cesse à l’audience le caractère fictionnel de la pièce et répondant ainsi au thème shakespearien du monde perçu comme un théâtre.

La mise en lumière a également son importance dans cet aspect de la mise en scène, nous allons donc à présent étudier sa place dans la pièce. Les projecteurs visibles depuis la salle permettent au public de découvrir un plan de feux simple mais plutôt chargé : sur le gril, une rangée de cycliodes et trois rangées de pars ; sur les latéraux, des svobodas sur pieds ; à la face au sol, des tubes fluorescents et des mickeys ; à la face, dans la salle, des découpes. Quasiment tous les projecteurs sont équipés de filtres CTB dont le rendu est une lumière très froide (les seules sources chaudes semblent être les lampes encadrant le miroir). La totalité du plateau est constamment éclairée de façon homogène à intensité plutôt faible mais avec des sources nombreuses, qui produisent ainsi une assez grande luminosité. Cette mise en lumière ne semble pas conçue pour recréer des images réelles d’instants de la journée ou de lieux, elle est plutôt symboliste et reste relativement constante tout au long de la pièce.

Des changements sont tout de même remarquables lors de certains moments clés. Dès le début de l’action, après le prologue, tout semble se mettre en place : les décors sont acheminés sur scène et un rideau de tubes fluorescents s’illumine au lointain. Il fait partie intégrante du décor et reste éclairé durant la quasi-totalité de la pièce. Lors du bal des Capulet, durant lequel Roméo et Juliette se rencontrent pour la première fois, une guirlande est installée sur scène et un rideau constitué de trois pans de gélatine rouge surgit des cintres : cela contribue à l’atmosphère festive de la scène, mais pas seulement. Ce rideau de gélatine s’interpose, dans un premier temps,  entre les deux enfants des familles rivales : Juliette se trouve derrière, sur un praticable, et Roméo devant. Alors que tous les invités font la fête, le temps semble s’être arrêté pour les deux amoureux, qui se rejoignent finalement devant ce fameux rideau, comme s’ils se retrouvaient isolés du reste du monde : celui-ci semble à la fois représenter l’opposition des deux familles, ainsi que la passion qui unit Roméo et Juliette. Lors de leur première nuit passée ensemble après leur mariage, les deux amants sont une fois de plus éclairés d’une manière différente : la lumière est plus chaude, et un éclairage en clair-obscur laisse deviner les corps nus des deux comédiens, accentuant le caractère érotique de la scène. Et finalement, à la fin de la pièce, lorsque Roméo et Juliette se donnent la mort, le rideau de gélatine rouge réapparaît, symbolisant une fois de plus la relation passionnée des jeunes époux, ainsi que la violence qu’elle engendre. Autre élément remarquable dans la mise en lumière du spectacle : au début de la pièce (durant tout le prologue) puis au retour des spectateurs après l’entracte, la salle reste allumée. Cela n’est pas sans évoquer le théâtre élisabéthain, dont les pièces se jouaient en journée à ciel ouvert. Une fois de plus, tout est visible pour le public : la salle, les autres spectateurs, le plateau, les décors, les comédiens… Par ce type de procédé, Olivier Py rend une nouvelle fois hommage au théâtre shakespearien tout rappelant une fois de plus au public sa position de spectateur.

Pour conclure, cette mise en scène de Roméo et Juliette associe de manière judicieuse tradition et modernité. La nouvelle traduction du texte par Olivier Py est certes plus moderne, plus actuelle, mais dans le but, semble-t-il, de coller plus que jamais au texte d’origine (la forme versifiée est d’ailleurs conservée), notamment lors des scènes grivoises, jusque-là édulcorées dans la plupart des traductions connues. Nous constatons, de plus, que la scénographie et la mise en lumière de ce spectacle évoquent sans cesse le théâtre élisabéthain. Nous pouvons, d’ailleurs, déceler certains clins d’œil du metteur en scène allant dans ce sens, comme le rôle de Lady Capulet, par exemple, qui est interprété par un homme, rappelant ainsi que les femmes ne pouvaient jouer la comédie à cette époque. Enfin, à l’instar de Shakespeare, Olivier Py aborde le sujet de la vie se déroulant comme une pièce de théâtre, un thème récurrent chez les deux auteurs :

« Le monde entier est un théâtre, et tous les hommes et les femmes seulement des acteurs ; ils ont leurs entrées et leurs sorties, et un homme dans le cours de sa vie joue différents rôles. » (William Shakespeare, Comme il vous plaira, 1599)

« Le théâtre est le miroir du monde qui est le miroir du théâtre. » (Olivier Py, Illusions comiques, 2006)

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