MA CHAMBRE FROIDE de et mis en scène par Joël Pommerat au TNP (Villeurbanne)

L’histoire :

Hospitalisé pour une maladie incurable, un patron autoritaire prend une décision pour le moins surprenante : léguer ses entreprises à ses employés, qui, mal préparés pour gérer la situation, voient leur quotidien et leurs relations se transformer peu à peu. Autre volonté inattendue de la part du donateur : que ses ouvriers montent une pièce de théâtre en son honneur. Jusque-là très effacée au sein de son équipe, Estelle va prendre très à cœur ce projet et s’y engager corps et âme, révélant ainsi à ses collègues un comportement des plus troublants…

 

Spectacle joué du du 10.01.12 au  21.01.12

Analyse du spectacle :

Joël Pommerat s’est fréquemment illustré dans la mise en scène de contes, comme Le Petit chaperon rouge ou Le Petit Poucet. Avec Ma chambre froide, il écrit et met en scène une véritable fable moderne, qui n’est pas sans rappeler le théâtre brechtien, relatant l’évolution d’ouvriers dans le quotidien de la société capitaliste. « Je choisis des situations ordinaires, et je cherche à l’intérieur de ce cadre ordinaire la tension la plus forte, l’intensité la plus grande. » En partant, en effet, d’un fait banal (des ouvriers héritant du patrimoine de leur patron), Joël Pommerat parvient à susciter une tension palpable au sein du public et pousse le spectateur à réfléchir sur une situation réelle. Comment, à travers la mise en scène et la place accordée au théâtre dans la pièce, Pommerat crée-t-il ce climat préoccupant tout en poussant cependant le spectateur à prendre du recul sur l’action ?

La tension est tout d’abord et tout simplement provoquée par le sujet et le texte lui-même : le caractère ordinaire de la situation est tel qu’il touche et implique facilement la plupart des spectateurs. L’action, qui dégénère au fil de la pièce, devient de plus en plus violente, et même si elle suscite souvent le rire, l’humour n’en est que plus noir et grinçant. Le jeu des comédiens renforce particulièrement cette idée : il illustre parfaitement le comportement de chacun des personnages, mettant l’accent sur leurs failles, leurs doutes… sur tout ce qui fait d’eux, finalement, des êtres humains. La configuration de la salle en cercle place les acteurs au centre même de l’action, ce qui contribue grandement à la montée de stress : cernés par les spectateurs, ils évoluent dans une atmosphère étouffante. Les changements de plateaux sont très fréquents et ont lieu dans le noir total. Cette caractéristique, visiblement habituelle chez Pommerat, n’est en revanche pas nécessairement habituelle pour un public non averti, qui se retrouve du coup plongé dans une obscurité engendrant la claustrophobie. Ce rapport au public est très important chez le metteur en scène : ce dernier assiste le plus souvent possible aux représentations de ses propres spectacles et n’hésite pas à les modifier selon les réactions des spectateurs, travaillant ainsi sans relâche son texte et sa mise en scène (suivant l’avis de son équipe artistique et technique également) jusqu’à ce que son œuvre touche au plus près ses aspirations.

Mais comme le dit lui-même Pommerat : « (…) la vie n’est pas un théâtre. » Car si d’un côté il arrive à impliquer le public dans l’action, comme nous l’avons vu précédemment, d’un autre il le pousse à prendre ses distances et à réfléchir à propos de ce qui se déroule sous ses yeux. Le public conserve sa position de spectateur et ne s’identifie pas complètement aux personnages grâce, notamment, à la grande importance accordée au rêve et au théâtre dans la pièce. Les rêves du personnage d’Estelle sont, en effet, mis en scène à plusieurs reprises et facilement reconnaissables par des mises en lumière et des bandes-sons surréalistes. Ils se terminent systématiquement par un brusque retour à la réalité triviale : le quotidien des ouvriers, personnages centraux de cette pièce. La mise en abyme du théâtre dans le théâtre est évidente, dans le texte et la mise en scène. Les personnages répètent, en effet, une pièce de théâtre au sein même de la pièce à laquelle nous assistons, rappelant sans cesse au public qu’il assiste également à une fiction, et lui permettant ainsi de poser un autre regard sur la situation, de prendre du recul et de réfléchir à l’histoire qui se déroule sous ses yeux. Il peut ainsi développer un regard plus critique face aux personnages et aux situations, prendre position. La configuration circulaire de la salle contribue, cette fois-ci, à le placer comme juge de l’action. Pommerat se permet de prendre ce risque, « puisque ce lieu est un lieu de simulacre » : malgré son implication certaine, le spectateur reste toujours conscient de sa position et de son rôle dans ce spectacle.

Pour conclure, nous pouvons, une fois de plus, citer Joël Pommerat : « Le théâtre est un lieu possible d’interrogation et d’expérience de l’humain. » Ma chambre froide illustre particulièrement bien ce propos, car cette pièce permet aux spectateurs de s’interroger sur une situation donnée, tout en leur faisant vivre une expérience unique issue d’une mise en scène originale et hors du commun.

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