Figures du Destin et mythologie Scandinave : les Nornes et Walkyries

La Mythologie scandinave tire ses origines des profondeurs du passé occidental. Ses références sont similaires aux mythes ancestraux celtiques basés sur des concepts simples, en rapport avec la nature, la terre nourricière et les peurs primaires de l’homme.

Mais, contrairement à la religion druidique, la mythologie scandinave a survécu à l’évolution de l’Europe, arrivant même à s’enrichir culturellement. De nombreuses thématiques sont traitées mais celle de la mort, de la destruction finale ou encore du destin demeurent prédominantes.

Pour les anciens la vie avait un sens, chaque destinée était voulue par les « puissances suprêmes » . Il existe donc des formes pour symboliser ce destin: ce sont les Nornes et Les Walkyries. Ces figures légendaires furent reprisent dans différentes oeuvres  tout au long des siècles :  les sorcières du Macbeth de Shakespeare ou  les Walkyries de l’œuvre musicale de Richard Wagner en sont des exemples. Mais comment s’exprime le destin à travers ces figures légendaires ?

Pour illustrer nos propos nous analyserons dans un premier temps le texte de référence qu’est L’Edda Prosaïque de Snorri Sturluson. Dans une seconde étape nous pourrons mettre ce texte en rapport  avec le Macbeth de Shakespeare et voir les points communs et les divergences. Enfin nous pourrons établir une approche comparée de ces mythes par rapport à l’œuvre musicale de Wagner.

Nous avons choisi ce type de structure, traitant chaque œuvre de façon séparée, car tout notre analyse part du texte mythologique de l’Edda et traite des rapports, des mythèmes que l’on retrouve dans les autres œuvres. Il est donc primordial d’analyser, dans un premier temps, cette œuvre puis d’aborder les dérives de ce texte de référence.

I) LE TEXTE DE REFERENCE : L ‘EDDA PROSAÏQUE DE SNORRI STURLUSON

1- Description de l’Edda et présentation de L’auteur

L’ Edda prosaïque fut composée par le Scalde islandais Snorri Sturluson (vers 1179-1241). Ce poète de cour était prince et vassal du roi de Norvège. Personnage important de l’époque, il soutiendra la politique impérialiste de son souverain Hakon Hakonarson. L’Islande étant déjà christianisée, Snorri Sturluson fut influencé par des visions du monde plus moderne lorsque il essayera de sauver de l’oubli les anciennes traditions religieuses et l’histoire de son peuple. Pour cet homme, inspiré par la littérature mais également l’histoire de son pays, la transmission du passé aux plus jeunes devint vite une nécessité. Il donne un visage plus réfléchi des anciens mythes et essaye de les comprendre et de commenter, de façon rationnelle, l’ancien Edda Poétique, plus archaïque. Son œuvre est divisée en quatre parties :

  • le Gylfaginning ou la mystification de Gylfi (il fait directement référence aux textes anciens puisque Snorri se réfère à l’ Edda Poétique : la Volupsa ).
  • les Skaldskaparmal, est un traité poétique ou l’auteur écrit une histoire plus originale et plus germanique, il y fait apparaître Sigurd et Brunhild.
  • Le Hattatal est apparenté au dénombrement des maîtres. Il n’est pas fourni dans notre édition car ce dernier détient essentiellement un intérêt de linguistique.
  • La quatrième est davantage une sorte d’index explicatif de la langue et de la poésie de l’époque.

On s’aperçoit que son œuvre, ne s’arrêtant pas à la sauvegarde des légendes nordiques, est aussi une sorte de manuel pour les jeunes poètes de l’époque.

Ce récit fut traduit du vieil islandais, ce qui peut amener à poser des interprétations diverses, de ce texte fondateur dans la mythologie nordique. L’Edda Prosaïque avec la Volupsa  est l’une des principales sources de notre connaissance dans cette mythologie.

2-Aux origines, les Nornes:

Snorri définit deux sortes de « Nornes » au chapitre 15  du Gylfaginning :

Les premières sont en fait des sortes de fées protectrices, des anges gardiens responsables de l’avenir des jeunes enfants. L’auteur les présentes telles que « celles qui interviennent auprès de tout enfant nouveau-né et qui façonnent sa vie ». Cette vision est plus éloignée de celle des Walkyries et est sûrement la version la plus ancienne du concept des Nornes.

Snorri Surluson présente aussi trois Nornes se trouvant au pied du frêne Yggdrasil. L’auteur fait alors référence à cet arbre en expliquant que c’est l’endroit ou les dieux donnent justice, l’arbre apparaît ainsi en relation avec le thème du destin. Il est aussi le symbole de l’ordre et de la liaison entre le ciel et la Terre, les Dieux et les hommes…C’est l’axe vertical du monde, et donc l’incarnation du « destin Universel ». Sur ce Sujet Régis Boyer l’exprime comme un « réservoir des âmes non nées ».
Sous la troisième racine se trouve la source Urdarbrunn, littéralement la source d’Urd, ou source du destin. C’est à cet endroit précis que les dieux tiennent leur conseil. Près de cette source, dans un hall magnifique se trouvent les trois Nornes responsables du Destin. Elles sont vierges, comme le seront Les Walkyries, et sont les figures du destin au même titre que Frigg (épouse d’Odin).
Elles se nomment Urdr, Verdandi et Skuld. Notons que l’étymologie de leurs noms fait directement référence à leur fonction :
Urdr est prétérit du verbe Verda qui signifie devenir : c’est le passé. Verdandi est le participe présent du meme verbe et s’apparente au symbole du présent. Enfin Skuld est le prétérito-présent de Skulu qui a le sens de devoir et qui correspond au futur.
Les noms de ses trois personnages peuvent donc se traduire par « ce qui devait advenir », « ce qui est en train de se produire », « ce qui doit se produire ». La ressemblance avec les Parques romaines et les Moires grecques paraît alors intéressante (cf. Lexique).
Ces femmes sont, à l’origine, considérées comme composantes individuelles du destin lié à la vie de chacun, le mythe est comparable aux trois moires, filles de Zeus et de Thémis, sœur des heures que l’on retrouve dans la république de Platon.
Il est aussi possible de faire un parallèle avec les fileuses des légendes Celtiques et Moyenâgeuses, dont les fils des métiers à tisser représentent les trois phases temporelles, mais aussi les fils de la vie et du destin.

De façon plus concrète, l’Edda informe que leurs choix sont influencés par leur vie : elles feront le bien ou le mal en fonction d’une vie brève ou longue, heureuse ou malheureuse… Ses femme qui façonnent la vie des hommes n’ont pas d’appartenance à un groupe précis comme nous avons pu le voir dans la citation introductive : l’auteur reste assez vague, elle sont parfois de la race des dieux, des elfes ou de sang mêlé (Dvalin paraît être un nain) :

« D’origine fort diverse,
J’estime que sont les Nornes :
Elles ne possèdent pas le même lignage
Certaines sont de la race des Ases,
Certaines sont de la race des elfes,
Certaines sont filles de Dvalin. »

Ces trois Nornes, contrairement aux précédentes, ont une dimension fatidique : cette fatalité du destin se retrouve dans Macbeth avec la représentation des sorcières.

3- Les Walkyries

Afin d’introduire ces personnages, ne peut-on pas évoquer une certaine évolution du mythe des fileuses vers un mythe plus guerrier des Walkyries ?

Dans la mythologie Nordique le mythe des Walkyries est intimement lié à celui de la mort. Fidèles aux Ases, ces vierges revêtues d’une armure, sont aussi les messagères des dieux et du destin. Elles parcourent le champ de bataille et distribuent la mort, en emmenant les héros au Walhalla (palais d’ Odin en Asgard). Les guerriers vikings morts au combat peuvent ainsi être intégrés dans l’armée d’ Odin. Il est ainsi possible de noter l’importance des Walkyries en tant que juges .

Au 36eme Chapitre de l’Edda, l’auteur explique qu’au Walhalla, leur tâche est de s’occuper de la table et du service, d’apporter à boire et de s’occuper de l’approvisionnement de la bière pour les soldats d’ Odin. Cette vision paraît ainsi assez barbare et masculine.

Snorri nomme 13 Walkyries . Contrairement à la horde de cavalières de « la chevauchée des Walkyries  » de Richard Wagner où trois autres walkyries : Gunn, Rota et Skuld (les plus jeunes des Nornes), sont constamment aux champs de batailles sur leurs chevaux. La vision moderne est donc réadaptée, voir erronée.
Le chiffre 13, quand a lui, peut rappeler un destin malheureux et pourquoi pas la mort. Ce thème de la mort est très important chez ces vierges guerrières. On passe ainsi à une vision similaire à celle de l’image de la Mort Occidentale, la faux étant remplacée par les armes des Walkyries. Les Walkyries, par le choix qu’elles font, donnent donc une vision plus naturelle du destin et n’ont pas tout à fait la même fonction que les Nornes puisque rien n’est écrit jusqu’à l’arrivée des guerriers au champs de bataille. La fatalité inéducable des Nornes, depuis les origines, cohabite alors avec un destin soumi au hasard où les actes de chacun peut changer leur destinée et leur permettre d’accéder à une sorte de Paradis qu’est le Wahalla.

Nous avons donc pu voir le mythe du destin dans la mythologie nordique tel qu’il le fut à l’origine. Ce Mythe distingue les Walkyries des Nornes. La figure de ces dernières est reprise par les sorcières de Macbeth de Shakespeare. Comment ces légendes ont-elles alors évolué ?

II) LES FEES DU MACBETH DE WILLIAM SHAKESPEARE

1- Présentation de l’auteur et de Macbeth

William Shakespeare est le plus grand poète dramatique britannique de son temps. Né en 1564 et mort en 1616 à Warwickshire en Angleterre, il ne se distingue pas par son œuvre d’acteur au théâtre ce qui lui vaut une réputation de simple « prête nom » pour d’autre auteur. Cette polémique paraît peu crédible lorsque l’on se penche sur son œuvre monumentale et assez originale dont les pièces sont aujourd’hui devenues des classiques mythiques. On peut ainsi citer Hamlet, Macbeth, Roméo et Juliette, Le Songe d’une Nuit d’été, la Tempête, Othello, le Roi Lear, etc…

L’histoire de Macbeth tire son origine d’un homme ayant réellement existé. Ce fut un roi d’Ecosse (1040-1058), il parvint jusqu’au trône en assassinant Duncan 1er, puis fut vaincu par Malcom, le fils de Duncan. On voit ainsi la correspondance avec le drame Shakespearien, Macbeth, lui même inspiré de l’histoire racontée par Holinshed *
L’auteur a du aussi être influencé par l’actualité de l’époque qui, en 1604, commença à réprimer les sorcières en leur donnant un statut particulier de simples excentriques ou folles.
(In page 17 à 28 de l’édition bilingue de Macbeth).

Dans la pièce, trois sorcières ont prédit à Macbeth que celui-ci serait roi, poussé par sa femme, il tuera Duncan. Celle-ci, croyant voir son fantôme à un banquet, folle de remords se suicidera. Le Fils de Duncan tuera ensuite Macbeth pour venger son père. Au début on parle de la Norvège, est-ce par hasard ?

2- La continuité à travers les sorcières, dans Macbeth
a)Le destin

On constate que l’œuvre évolue en fonction des actions de ces trois sorcières qui vont rythmer le récit à des moments stratégiquement étudiés. En effet, les trois personnages sont loin d’être omniprésents. Cependant, elles ont un impact primordial et leur caractère mystique donne une toute autre allure à la pièce.
Les premiers mots prononcés par le Macbeth sont les suivants (confère Acte I, scène 3) :

« Je n’ai jamais vu un jour si sombre et si beau »

Cet antagonisme est un écho à la chanson des sorcières clamant que « l’horrible est le beau ». Ainsi, dès le départ, nous pouvons constater l’immense impact de ces dernières sur l’être humain.

Ce sont elles qui débutent, lors de la première scène. Dès l’acte I, elles prophétisent à Banquo une vie plus heureuse et une descendance de roi. Par ailleurs elles saluent Macbeth du nom du futur roi. Cet élément, présenté sous forme de chant, apparaît comme l’élément majeur, déclencheur de la tragédie. (cf. : scène III ). La première scène de Macbeth doit être envisagée comme bien plus qu’une scène d’exposition : elle donne la clé de la pièce, en installant, mieux que son intrigue, ses présupposés, c’est à dire le dérèglement de l’univers qui s’inscrit d’entrée de jeu par l’irruption des sorcières. De ce dérèglement, on retiendra essentiellement la noirceur et le chaos, le sale généré par tonnerre, pluie et boue. Le désordre est ainsi revendiqué dès la première minute, par les sorcières.

A l’acte V, scène 1, nous apprenons qu’une prophétie a été faite, dès la naissance de Macbeth : « Nul homme né d’une femme n’aura jamais de pouvoir sur toi ». Ceci induit qu’un personnage différent pourrait bouleverser sa vie, toute prophétie ayant deux sphères et toujours une faille. Finalement, ce sera Macduff, un général du roi, qui parvint à tuer Macbeth et à achever la tragédie.

Lors de l’acte III, les sorcières préparent la cérémonie, pour le sabbat, en dansant dans une obscure caverne. Ces dernières semblent différentes des personnages décrits par l’Edda prosaïque, présentant des êtres de bonté.

Néanmoins, comme pour les Nornes, dans la mythologie Nordique, les fées/sorcières de Macbeth apparaissent comme symboles du destin dans l’œuvre de Shakespeare : ceci étant logiquement souligné par le fait qu’elles sont au nombre de trois.

b) La fatalité de la tragédie shakespearienne

La dimension de prophétie inéluctable de leur parole apparaît alors comme un très bon instrument pour rendre l’histoire encore plus dramatique. Les sibylles antiques telle la Pythie de Delphes semblent alors plus comparables avec ces fées qui prophétisent le malheur…

Dès le commencement de Macbeth, elles nous sont présentées dans la version païenne des sorcières avec tous leurs rituels. L’atmosphère est la plus sombre de tous les drames Shakespeariens : « le tonnerre gronde« , etc.…Si l’on établit alors la comparaison avec la mythologie nordique, ces perturbations climatiques ne sont pas sans rappeler le Ragnarock et accentuent alors la dimension tragique. C’est donc une vision assez pessimiste et, bien qu’il existe une grande évolution du rôle des fées ou des sorcières, on note une forte ressemblance avec les anciennes visions.

En fait, l’utilisation des sorcières dans cette œuvre est prétexte à créer une atmosphère foisonnante de rituels, d’images et de symboles. Dans le livre de James Dauphiné sur les symboles dans le théâtre de Shakespeare, l’auteur cite des images comme celles de faucon tué par la chouette ou encore celle de la nuit qui éteint la lampe errante. Toute cette symbolique, allant de paire avec la mort de Duncan, montre « un crime contre nature », comme l’explique l’auteur. Mais sans la présence des trois parques maléfiques créant une atmosphère barbare et païenne, ces images n’auraient pas eues le même dynamisme. C’est donc par leur acharnement, semblable aux Erynnies et aux Euménides d’ Electre, leur charme de sorcières, mai aussi leur sort inéluctable, que le thème central du destin se retrouve.
Lors de la nuit fatale, les étoiles seront cachées, comme si les cieux eux mêmes ne voulaient pas voir son crime, ce phénomène apparaît comme une punition, présage d’un funeste destin. Ce mauvais présage apparaît dès l’acte 1 scène 5, avec les allusions aux corbeaux, signes de mauvais augure et de mort :

« Le corbeau même est enroué
Qui croasse l’entrée fatale de Duncan »

On note ainsi que le malheur, la fatalité son inéluctablement présentes. Ce thème fait aussi penser au jugement des dieux qui sous l’Yggdrasil sont très proches des Nornes. On note donc le rôle dénonciateur des sorcières de Macbeth qui semble présager une justice divine ?

3- une œuvre originale en rupture

Au cours de l’acte III, Banquo, général de l’armée du roi, fait allusion à la prophétie qui est en train de se réaliser : « Tu possèdes maintenant tout ce que t’avaient promis les femmes fatidiques ». Par ailleurs, c’est ici également que le côté obscur et malsain de ces dernières, se fait ressentir. Cet aspect maléfique vient se renforcer par l’apparition d’un autre être : Hécate, « maîtresse des enchantements » et « agent mystérieux de tout maléfice ». La présence de cette autre personne ne peut s’interpréter que comme une rupture avec l’Edda. Ainsi, Shakespeare donne une tout autre dimension et soumet l’hégémonie des trois sorcières à la domination de Hécate.
Celle ci prononce ainsi à l’acte 4, scène 1 les vers suivants :

« Chantez autour du Chaudron
Comme elfes et fées en rond »

La correspondance avec la mythologie peut alors se faire, surtout du fait que d’autres sources évoquent tout de même le rapprochement entre les Walkyries et les êtres supérieurs qui les dirigeraient telles Svana et Brünhild. On peut aussi penser a Frigg , maîtresse du Destin (mais dont aucun rapport n’est fait avec les Nornes dans les Eddas).
Après la première parution du livre, des rajouts furent entrepris. Ils concernent la partie mystique et fantastique de la pièce, celle qui pouvait servir de prétexte à la musique et la danse. Les images des danses des sorcières et autres concepts sont alors accentués. La musique et les chants accompagnent et viennent renforcer les actions du mal. Effectivement, nous pouvons le remarquer dès la troisième scène de l’Acte I, par un chant des trois sorcières : « les trois servantes du destin ».

« Les trois sœurs, les trois messagères, qui heurtent les
Mers et les terres, les trois servantes du destin
Vont danser la main dans la main
Trois tours pour toi, trois tours pour moi
Et pour les neuf tours encore trois »

Cette valse infernale présentant alors à la fois des femmes similaires aux Nornes mais aussi aux Harpies ou aux sorcières. C’est comme si on assistait à un glissement, à un mélange entre différentes légendes. Par la suite, les sorcières font des incantations autour d’un chaudron sous forme de chant. Une symphonie de hautbois accompagne les actions maléfiques : cet instrument ayant des attributs mystérieux (confère Acte IV, scène 1). En d’autres termes, la présence des sorcières se voit renforcée par le biais de techniques novatrices. Un opéra sera créé, ensuite, par Giuseppe Verdi en 1847 montrant ainsi l’influence de la pièce.

C’est peut- être cet aspect que Richard Wagner a réussi à déceler. C’est, en tout cas ce dernier qu’il exploita des années plus tard dans son opéra « La Walkyrie ». Il lia le monde de la musique à l’aspect dramatique présent dans la mythologie germanique et scandinave.

Le Mythe des Nornes garde donc des invariants significatifs dans le mythe Shakespearien malgré des évolutions très importantes qui se caractérisent par la naissance d’une nouvelle mythologie qu’est celle des sorcières infernales. Dans le même sens, une œuvre telle que la Walkyrie de Wagner a-t-elle connu des évolutions aussi considérables?

III) UNE APPROCHE MUSICALE DU DESTIN : LA WALKYRIE DE RICHARD WAGNER

1- Les influences nordiques de Wagner (présentation et analyse de la partition)

Wagner s’intéresse très tôt à l’art dramatique en participant à la représentation de divers spectacles et en tentant même d’écrire des tragédies, fortement inspirées de Shakespeare et de la mythologie nordique.
Ce compositeur du XIXe siècle s’apparente à une « espèce », extrêmement rare, de dramaturge musicien. Élevé dans un milieu passionnel de théâtre, il fut très vite amené à concevoir une œuvre dans laquelle drame et musique se soutiennent mutuellement ; en témoignent ses livrets, qui préfigurent le schéma rythmique et le développement mélodique de la musique à naître. De plus, la puissance des symboles y est particulièrement remarquable. Les figures des protagonistes, dieux du Walhalla (séjour éternel des vainqueurs dans la mythologie scandinave) ou héros mystérieux, y sont plus affirmées que dans les opéras précédents.
C’est incontestablement à travers le «drame musical» que s’affirme la nouveauté de son art. Le compositeur novateur sait ainsi profiter tout à la fois du développement de l’orchestre symphonique beethovénien et des apports de l’opéra romantique de Weber. Bientôt voient le jour l’Or du Rhin (1853) et la Walkyrie (1856), les deux premiers ouvrages de l’Anneau du Nibelung, la célèbre Tétralogie qui comprend, après un prologue (l’Or du Rhin), trois journées : la Walkyrie, Siegfried et le Crépuscule des dieux. Fondée sur la mythologie germanique et scandinave, elle sera remodelée par le compositeur dans une langue pseudo archaïque. Cette œuvre monumentale, d’une durée totale de quatorze heures, fut composée entre 1848 et 1874. Les dieux, leurs vierges guerrières (les Walkyries), la violence, et la trahison se mêlent dans les trois journées suivantes, conduisant au crépuscule des dieux. L’analyste Michel Pazdro parlera, pour les définir, des « trois interminables » de par la richesse de l’histoire, du grand nombre d’intervenants et de la dimension musicale exceptionnelle. Nous constatons, de ce fait, une incroyable importance de l’orchestre, traduisant cette grande puissance d’expression. Le compositeur traduit ces sensations en jouant dans une tonalité bien précise : le mi bémol majeur, permettant de dérouler ses harmonies tout en leur donnant une dimension grandiose.
L’unité de la construction littéraire est assurée par la présence d’instants narratifs. Le poids du passé, les prophéties et les grandes anticipations font partie des aspects primordiaux que Wagner a tenu de faire apparaître. Pour ce faire, son style sera en rupture avec les formes du « grand opéra » dit classique. En effet, il consacre autant d’importance au chant qu’à la trame musicale.

2- L’appropriation du « mythe wagnérien » par un compositeur novateur

Richard Wagner s’inspira fortement des Eddas. En effet, il fait intervenir dans son opéra trois Nornes fileuses du destin et avertissant le danger que causait l’anneau.
En parallèle, il existe neuf Walkyries, guerrières protectrices réunies dans le Walhalla, dont le nombre, inférieur à celui de la légende a peut être un autre sens dans son oeuvre. Elles ont de bonnes intentions (gardiennes des liens sacrés du mariage, viennent en aide, conduisent les corps des héros au Walhalla…) et sont chargées de missions par le dieu de la Guerre.
Ce sont donc à la fois les personnages des Nornes et ceux des Walkyries que le compositeur introduit : le destin semblant détenir une place primordiale dans cet opéra…
Par ailleurs il introduit une déesse, nommée Erda, semblant détenir les mêmes caractéristiques que Hécate dans Macbeth. Cette dernière serait la mère des trois Nornes et leur directrice. Néanmoins, elle ne détiendrait pas d’attraits néfastes tels que Hécate et aurait de sages intentions. Ainsi, le musicien se sert d’un récit passé implanté dans de nombreux esprits, et le détourne à sa manière dans le but de le rendre plus crédible musicalement et dans une époque moderne ayant évolué.
La scène étudiée demeure l’extrait le plus connu de cet opéra. Elle concerne le commencement du troisième acte (qui est le dernier). Wagner y fait intervenir essentiellement les 9 Walkyries. Lors de cette scène, ces dernières débarquent triomphantes sur leurs chevaux ailés et apportent les corps des héros morts au combat dans le Walhalla.

Le compositeur utilise de nombreuses ovations, propres à l’épopée, qu’elles clameront tout au long de leur chevauchée fantastique :

« Hoïotoho ! Hoïotoho ! Heiaha ! Heiaha ! »

Ceci donne une vision assez barbare du mythe. On sent l’influence germanique de Wagner et sa volonté de prendre le meilleur des différentes sources mises à sa disposition.
Par ailleurs, le thème musical est à l’image de la grandeur et de la force de ces êtres évoqués dans les Edda. Wagner traduira ceci par le biais d’un choix bien précis dans la nature des instruments (vents, cuivres, cymbales, grosse caisse…), dans la tonalité d’un majeur dit « resplendissant », dans le rythme entraînant et le lyrisme des voies… Tous ces aspects dévoilent un caractère militaire et guerrier (d’ailleurs le thème sera repris au cinéma dans Apocalypse Now ). N’y a t’il pas une certaine influence de la vision violente, véhiculée par les vikings, qui s’insinue dans une mythologie pourtant plus portée sur la nature, le pacifisme et les traditions à la base de la mythologie celte ou des thèmes tels que les parques romaines ?

CONCLUSION

Nous avons donc pu voir l’évolution du mythe scandinave, issu de l’Edda prosaïque, de ses origines mystiques jusqu’à nos jours. C’est à travers des œuvres telles que Macbeth ou encore avec l’opéra wagnérien que toute sa symbolique perdura et marqua l’Occident christianisé et barbare au cours du temps. Non seulement il garda ses attraits mais s’enrichit à ce contact. A l’origine le mythe des Nornes et des Walkyries fut d’abord étroitement lié au thème du destin. Par la suite, avec les évolutions c’est une logique plus fataliste et plus violente qui prendra le dessus. Leurs images évoluent peut être en s’intégrant à la naissance d’une histoire qui voit le passé comme l’ère du barbarisme.
Il est dommage que peu d’œuvres fassent référence de façon fidèle aux origines de cette mythologie scandinave. Nous pouvons tout de même nous questionner en voyant l’engouement qu’entraîne des récits tels que Le seigneur des anneaux, sur notre société moderne. Comment se fait-il que des jeunes se passionnent autant pour des textes aussi ancestraux? Une dérive ne s’établit-elle pas afin d’attirer et de remettre au goût du jour ces composantes mythologiques ? Toute personne, connaissant Tolkien, s’apercevra incontestablement du poids du destin nordique dans son imaginaire. Il est remarquable de noter que des sociétés qui ne furent pourtant pas plus évoluées que celle-ci, nous léguèrent d’avantage. On peut, par exemple, prendre l’exemple de la mythologie celtique qui, par l’intermédiaire des cycles arthuriens et des sagas irlandaises, domina l’occident médiéval. Mais est-ce vraiment la même sphère d’influence ? Le cadre spatial ne peut-il pas se percevoir comme une limite à la transmission des récits ?

GLOSSAIRE

Nornes : figures mythologiques dont la fonction consistait à fixer le destin des hommes, ressemblant aux moires, aux parques.

Moires (Moira): symbole du Destin Divinisé dans la Grèce antique mais ne sera personnifié que depuis Hésiode (poète grec du 8eme siècle a.v J.C spécialiste de la mythologie) où l’on parle alors des trois Moires, elles se nomment Clotho, Lachésis et Atropos.
Note Personnel : Moira et la « Moria » de Tolkien sont très proches, La porte de la Moria ne serait t’elle pas une porte du destin : la porte après laquelle il n’est plus possible de faire marche arrière, où les destins sont scellés comme le confirme Tolkien en bloquant l’issue à ses héros…

Parques : équivalent Romains des Moires dans une représentation infernale, elles filaient, dévidaient et coupaient le fil de la vie des hommes.

Walhalla : dans la mythologie germanique, le Walhalla, dit aussi Valhöll, qui se trouve dans le pays d’Asgard, le royaume des dieux, représente le séjour des guerriers les plus courageux tués au combat. C’est en fait le palais d’ Odin où son ramener les héros choisit par les Walkyries.

Hécate : divinité grecque qui fut d’ abord considérée comme bienveillante, puis acquit, par la suite, un caractère maléfique. Elle devint la déesse des Terreurs nocturnes, messagère des démons et des fantômes. Par déclinaison on peut l’assimiler à la Déesse de la mort dans la mythologie grecque.

BIBLIOGRAPHIE

Sources Encyclopédiques

Encyclopédie Hachette 2000, Hachette, Paris, 2000.
Encyclopédie Larousse, France Loisirs, Paris, 1988.
BRUNEL Pierre, Dictionnaire des Mythes littéraires, Editions du Rocher, Paris, 1988.
GUIRAND Félix, Mythologie Générale, Larousse, Paris, 1936.
Le Grand Larousse Universel, Larousse, Paris, 1991

Sources littéraires

STURLUSON Snorri, L’Edda, Récits de mythologie nordique, (Trad. par François-Xavier Dillmann), Gallimard, Paris, 1991.
SHAKESPEARE William, Macbeth (Trad. de l’anglais par F-V Hugo), Librio texte intégral, Paris, 1997.
SHAKESPEARE William, Macbeth (Trad. de Pierre Leyris), Aubier Montaigne, Paris, 1977.

Travaux spécialisés

DAUPHINE James, Les Structures Symboliques Dans le théâtre de Shakespeare, Les Belles Lettres, Paris 1983.
PAGE Raymond Ian, Mythes nordiques, Editions du Seuil, Paris, 1993.
BOYER Régis, La grande déesse du nord, Berg international Paris, 1995. Page 66 à 77.
BOYER Régis, Les sagas légendaires, Paris, Les Belles lettres, 1998.
PAZDRO Michel, Guide des Opéra de Wagner, Fayard, Paris, 1988.

Sites Internet

http://opus-all.paris.iufm.fr/littecompa/shakespeare/shakespeare_0.htm
http://www.eleves.ens.fr/home/aze/anime/mythes/mythnord.html
http://www.imperia-europa.org/Mythologie/
http://jormungandr.online.fr/Dictionnaire de_la_Mythologie_Nordique.htm

Autres sources

WAGNER (R.), Opéra de L’Anneau de Nibelung : la Walkyrie (Acte III), orchestre philharmonique de Vienne.
Wagner (R.), Ouvertures et préludes : Ride of the Walkyries, European Philharmonic Orchestra.
Verdi (G.), Opéra de Macbeth, Orchestre de Berlin (Dirigé par Herbert Von Karajan).

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